Après le fantastique Drive et le déroutant Only God Forgives, le réalisateur danois Nicolas Winding Refn nous revient cette année avec The Neon Demon, un projet à nouveau singulier, qui a eu droit aux honneurs de Cannes, il y a quelques semaines à peine. L’histoire s’intéresse à Jesse, interprétée par Elle Fanning, une jeune fille qui débarque à Los Angeles dans l’espoir de devenir mannequin. Son ascension fulgurante et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s’inclinent devant elle, d’autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté.
Si le cinéma de Nicolas Winding Refn se concentrait jusqu’ici plutôt sur la figure masculine, The Neon Demon nous entraîne cette fois dans un monde fondamentalement féminin, où les hommes apparaissent comme des êtres secondaires. Un monde fantasmagorique entièrement régit par la beauté. Le récit a toutefois la bonne idée d’aller au-delà de la simple critique de l’univers de la mode, déjà maintes fois abordée par le passé, en évoquant davantage les apparences et nos rapports à celles-ci. Une nuance que le cinéaste exploite à merveille, n’hésitant pas à faire basculer l’histoire dans l’horreur, à travers une dernière demi-heure aussi sanglante que symbolique. Symbolique, le long-métrage l’est abondamment dans sa façon de représenter cette société complètement gangrenée par sa quête de perfection narcissique. Il suffit d’observer la multitude de miroirs qui se succèdent à l’écran pendant près de 2 heures pour s’en convaincre, les apparences dominent et les relations humaines se tendent. Sans parler du fameux « Neon Demon », un triangle inversé – rappelant inévitablement la forme du sexe féminin – rempli de symboliques et qui suscite immédiatement tant de questions.
Ses apparitions sont nombreuses et variées, et en disent long sur les personnages. En parlant des personnages, leur écriture est nettement plus fine qu’on pourrait le croire au départ, et les dialogues, plutôt anecdotiques à première vue, prennent soudainement tout leur sens à mesure que Jesse s’abandonne à cet univers dangereusement centré sur la beauté physique. Plus qu’un élément central de l’intrigue, la beauté s’impose surtout ici comme un formidable sujet de réflexion et une véritable mécanique de mise en scène. Chaque plan semble effectivement minutieusement préparé et transcende littéralement le récit, une constante dans le cinéma de Nicolas Winding Refn. Des couleurs aux lumières, en passant par les mouvements de caméra et les ralentis, l’image nous éclabousse en effet de toute sa beauté. Elle représente, à elle seule, l’un des intérêts majeurs du long-métrage. Et que dire de la bande originale de Cliff Martinez si ce n’est qu’elle contribue, elle aussi, pleinement à l’incroyable expérience sensorielle et émotionnelle que le film procure. Angoissante à souhait, la musique fait souvent penser aux compositions d’Angelo Badalamenti, le partenaire musical privilégié de David Lynch.
Enfin, Elle Fanning complète le tableau, déjà très enthousiasmant, par une performance prodigieuse dans la peau de cette jeune fille tour à tour proie et prédateur. D’une subtilité rare, l’actrice capture avec brio des instants mémorables. Impressionnante, phénoménale, éblouissante… les adjectifs ne manquent pas pour qualifier sa prestation. A ses côtés, Jena Malone se révèle au grand jour dans un rôle extrêmement complexe, qu’elle endosse sans fléchir. A l’instar de sa jeune partenaire, elle bénéficie, elle aussi, de plusieurs scènes déjà cultes. J’en veux, par exemple, pour preuve l’étonnante séquence de la morgue. Tandis que Bella Heathcote et Abbey Lee ne déméritent pas en figures féminines profondément superficielles. Par la nature même de leur personnage, l’une comme l’autre participent à la réflexion que propose le film, notamment dans la direction horrifique empruntée à la fin. Signalons aussi pour terminer l’interprétation honorable de Keanu Reeves, dans un registre qu’on ne lui connaît pas forcément, et celle plus mineure, mais attachante, de Karl Glusman.
Pour toutes ces raisons, The Neon Demon s’impose donc comme une œuvre absolument fascinante, aussi hallucinante sur la forme que stimulante sur le fond. Autour du thème de la beauté, Nicolas Winding Refn décortique les relations humaines dans un défilé sensoriel et émotionnel renversant. Un film clivant mais magistral, duquel s’extrait avec charisme la fantastique Elle Fanning.
Mon cher Wolvy, je vais avoir besoin de tes lumières ! 🙂
J’ai eu mal à comprendre la partie dans la maison à la fin, le passage où sa copine essaie le rapprochement mais en vain, suivi de l’embuscade qui conduit à la chute mortelle…
La fin me fait même penser que si ça tombe, l’héroïne n’existe pas !
En ce qui me concerne, malgré l’aspect « conte » assumé et l’utilisation fréquente de symboles/métaphores, rien ne m’a laissé penser que l’héroïne n’existait pas.
Pour la fin, j’ai interprété ça très simplement. Ruby est profondément attirée par Jesse, comme le suggère d’ailleurs la toute première scène du film, et par tout ce qu’elle représente (beauté, innocence, virginité…). Un désir qu’elle est bien décidée à assouvir, que ce soit dans la vie ou dans la mort (scène de la morgue). Cette dernière lui résistant, l’issue s’impose alors d’elle-même. Avec ses 2 amies, elle va la tuer et s’en repaître. Une conclusion qui fait d’ailleurs écho au dialogue du club plus tôt dans le film : « Es-tu plutôt sexe ou nourriture ? ».
Merci pour cette explication qui me semble très cohérente mais que je n’avais pas construite moi-même ! 🙂
Pour le côté « n’existe pas », c’est surtout par rapport à la fin. Personne ne semble s’inquiéter ou se rendre compte de la mort de Jesse, hormis les tueuses hantées par cette rivale depuis le début du film. Du coup, comme l’arrivée de Jesse est aussi très rapide, je me dis que l’on peut aussi comprendre le film en voyant Jesse comme cette allégorie de l’obsession de la beauté.
On est d’accord que the Neon Demon, ça veut dire « Le démon des néons » ? En rapport avec ce triangle qui transforme l’innocence en perversion ?
On est d’accord oui, j’ai la même interprétation. 😉
Merci, et désolé de t’embêter avec toutes mes questions ! 🙂
Maintenant que je pense avoir compris l’essentiel du film, je peux le critiquer 🙂
Nous avons affaire ici à un metteur en scène qui a passé du temps à réfléchir à ses effets. Photographie, lumière, cadrage, bande son, mouvements de caméra, il y a de quoi faire ! Le film est-il vide pour autant ? Et bien non, puisqu’ici, la caméra sert le propos. Tout est lié dans The Neon Demon. Même le scénario repose sur le propos. Les actrices sont dans cette optique, avec une Elle Fanning terrible car je trouve qu’elle arrive à explorer de nombreuses facettes dans un seul film !
J’y ai vu quelques références : American Beauty, Mulholand drive, Drive (l’ascenseur reste gravé dans ma mémoire !)…
Un film qui ne ressemble à aucun autre, maîtrisé, soigné… J’ai du mal à me dire que c’est un des plus beaux films de l’année, peut-être parce que j’ai été déstabilisé, mais ça ne fait que renforcer finalement cette sensation…
Tu ne m’ennuies pas du tout. Le film suscite pas mal de questions, donc c’est logique d’en discuter. 🙂
Les références sont effectivement nombreuses. Pour autant, le film est très personnel et la mécanique de mise en scène sert complètement le propos. Certes, le scénario est plutôt simple mais la dimension technique, absolument superbe, stimule les sens et la réflexion. Une très belle expérience pour moi !
Cette critique est vraiment top, en tout cas je me reconnais beaucoup ! Pour moi, même si je comprends qu’on puisse détester, j’ai trouvé qu’il s’agissait d’un grand film qui allait complètement au bout de ses idées ! Après il faut accepter le projet pour ce qu’il est, avec ses symboles, son côté pratiquement illustratif. Et je suis d’accord : je pense qu’il y a plus de scénario que ça en a l’air. La mise en scène et l’esthétique ne pourraient pas totalement fonctionner sans un scénario au contraire pensé de A à Z et minutieux.
Comme souvent avec NWR, c’est un film terriblement clivant, mais pour quiconque apprécie les œuvres singulières, avec une mise en scène totalement au service du récit, le plaisir que The Neon Demon procure est immense. Content de voir que d’autres spectateurs partagent le même ressenti en tout cas ! 🙂
Terriblement clivant, peut-être, mais en ce qui me concerne, je me range du même côté que toi. Tu as très bien détaillé les nombreuses qualités esthétiques et symboliques de ce film qui évolue sur la lame d’un couteau, qui se nourrit de ses contradictions autant que des obsessions et fantasmes de son auteur. Et c’est pas tous les jours qu’on contemple un film d’horreur de cette facture !
Et c’est pas tous les jours qu’on contemple un film d’horreur de cette facture !
C’est le moins que l’on puisse dire. En tout cas, je suis content de constater que le film compte quand même plus d’adeptes que je ne l’aurais pensé au départ car il le mérite largement.
Critique surprenante à lire sur Cinerama ! Je ne m’attendais pas du tout à un tel enthousiasme en réalité.
Personnellement, critique et commentaires donnent à mieux saisir ton point de vue tout à fait respectable : il s’agit d’un film clivant. (Comme l’a été Only God Forgives et comme le seront sensiblement de futurs projets.) La forme approche l’excellence photographique. Quant aux idées, aux choix, le film divise très clairement.
Cela reste toujours un plaisir de voir des opinions différentes et des interprétations tout aussi passionnantes ! 🙂
Pourquoi surprenant ? 🙂
Il y a de l’horreur dans ce Neon Demon, mais aussi beaucoup de mystère. Le tout combiné à une esthétique parfaite. On retrouvait déjà un peu ces éléments dans Only God Forgives, mais là ça fonctionne encore mieux.
Je suis d’accord ! Même si j’avais déjà bien aimé Only God Forgives, ça fonctionne encore mieux ici.